1. Comment les personnes atteintes de cancer se sentent-elles morale- ment et physiquement ?
Le cancer vient toucher la personne dans sa chair, et, de fait, cela va retentir sur son psychisme. Nous sommes en effet un corps, un esprit, une âme et des émotions réunis, et chacune de ces facettes interfère et interagit avec les autres. Etre blessé dans son corps, c’est pour de nombreux patients un choc, un traumatisme, une mutilation, une trahison… et chacun doit y faire face comme il peut avec les ressources qu’il a à sa disposition (j’entends des ressources externes comme les amis, la famille, etc…, mais aussi les ressources internes que l’on développe au fil de nos expériences de vie). Il n’y a pas de norme en la matière ! Chaque patient est unique car chaque sujet est singulier dans sa vie, et, de fait, le corollaire est qu’il n’y a pas une seule manière de réagir. Il n’y a pas non plus de recette miracle ! Je côtoie cette maladie depuis plusieurs années désormais, et aucun patient ne se ressemble ! Il y a des questions similaires qui traversent les patients, comme le «pourquoi moi ?», «qu’ai-je donc fait ? ou pas fait ? ou mal fait ?», mais ces questions ne sont pas systématiques, ou n’arrivent pas au même moment de vie pour chacun. C’est une richesse de ce métier, car la surprise est au rendez-vous à chaque rencontre ! Et puis il y a le cheminement même de la personne qui a son propre rythme, sa propre dynamique, stagne, revient parfois un peu en arrière pour mieux repartir et rebondir. C’est du mouvement sans cesse ; le mouvement de la vie.
2. Aujourd’hui, quel type d’accompagnement non médical peut être proposé à ces patients pour les aider (dans le milieu hospitalier ou à domicile) ?
Les soins de support se développent de plus en plus dans les structures hospitalières et libérales.
Voici la définition des soins de support : les soins de support en oncologie sont définis comme «l’ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes malades tout au long de la maladie, conjointement aux traitements oncologiques ou onco-hématologiques spécifiques lorsqu’il y en a ». Les soins de support répondent à des besoins qui peuvent survenir pendant la maladie et lors de ses suites, et qui concernent principalement la prise en compte de la douleur, de la fatigue, les problèmes nutritionnels, les troubles digestifs, respiratoires et génitourinaires, les troubles moteurs, les handicaps et les problèmes odontologiques.
Ils concernent aussi les difficultés sociales, la souffrance psychique, les perturbations de l’image corporelle et l’accompagnement de fin de vie.
De fait, de nombreuses thérapeutiques participent à l’accompagnement du patient tout au long de sa maladie et dans l’après-cancer.
Pour exemple, à l’Institut de Cancérologie de Lorraine, nous avons développé plusieurs soutiens psychothérapeutiques via l’hypnothérapie, l’hypnoanalgésie, l’EMDR, la relaxation, la psychothérapie de soutien, l’onco-sexologie. Notre socio-esthéticienne est également d’une aide précieuse dans le travail de restauration narcissique : à travers les soins du corps, les conseils et l’attention portée à ce corps meurtri par la maladie et les traitements, elle contribue à une réhabilitation de l’image de soi fortement perturbée. Il y a tout un re apprivoisement de son corps, de son image engendrée par la maladie, et nous pouvons, en qualité de soignants, accompagner le sujet dans ce travail.
Les thérapeutiques psychocorporelles trouvent tout leur sens dans le contexte de la maladie somatique : l’hypnose, la relaxation, la sophrologie (…) sont des outils pertinents.
L’activité physique adaptée concourt également à une réadaptation physique bien évidemment, mais psychologique également : elle réinsère dans un groupe, dans son corps. Ces outils permettent de réinvestir son corps autrement que dans la maladie et les multiples agressions. Cela décale aussi le Sujet de la maladie qui prend énormément de place dans sa vie. Il ne se réduit pas à sa pathologie, à un organe malade ou à un protocole de chimio : il est Sujet avant tout.
3. En tant que psychologue, que leur conseillez-vous pour aller mieux ?
Comme je le disais précédemment, il n’y a pas de recette miracle : chacun fait comme il peut avec les moyens qu’il a. Je ne suis pas dans le conseil, mais bien plutôt dans l’écoute de la souffrance, sa légitimation et l’élaboration commune de «solutions», ou en tout cas une élaboration psychique via la parole, afin qu’elle ne reste pas comme un énorme paquet indigérable, ingérable pour le patient. Ma pratique d’hypnothérapeute permet également de prendre en compte la sphère physique en souffrance : on observe parfois une sidération psychique qui s’incarne, le mouvement vital est comme gelé. Réinvestir son corps permet de le réhabiter et le redynamiser. Il s’agit en fait d’être à l’écoute des ressources de chacun pour les réactiver et qu’elles permettent de nouveau au patient de rebondir et avancer… quel que soit le chemin de vie, le parcours de soins.
4. Selon vous, en quoi un accompagnement par le massage-bien-être pourrait les aider ? Le massage-bien- être pourrait-il s’inviter à l’hôpital ?
Au regard de mon message précédent, le massage trouve là toute sa place ! Ressentir son corps autrement que meurtri par la maladie, la douleur ou les traitements est important : le Sujet n’est pas qu’un patient. Le massage et l’accompagnement auquel il invite ont de fait toute leur place dans les lieux de soins. Certains soignants d’ailleurs se sont formés au toucher-massage et pratiquent durant leurs soins de nursing, et cela est précieux. C’est un soin parmi d’autres qui ré-humanise : c’est énorme !
Notre rôle de soignant est aussi de regarder, penser et panser l’autre avec humanité et respect. Approcher le corps de cette manière (le massage), c’est permettre au Sujet en souffrance de l’envisager avec plus de paix.
5. Le massage-bien-être pourrait-il, selon vous, accompagner aussi les proches des malades et le personnel soignant ? Si oui, pourquoi et de quelle manière ?
Bien évidemment oui ! Tout le monde est impacté par cette maladie : le patient, mais son entourage également. Comme une onde de choc, cela se propage sur tout le monde : y compris les soignants !
Les établissements mettent parfois en œuvre des actions pour leur personnel, afin de prévenir l’épuisement professionnel, le burn-out. Prendre soin des autres, c’est aussi (et avant tout) prendre soin de soi. Cela n’est pas for- cément dans notre culture, mais les bénéfices sont évidents. Les études montrent combien un personnel en bonne santé psychique est entre autres moins en arrêt de travail. La réflexion est intéressante !
Une piste aussi qui me paraît intéressante est que le proche/accompagnant acquière des notions quant au massage-bien-être : cela permettrait pour ceux qui le désirent d’entretenir le lien avec leur proche malade autrement. Toucher ce corps, le masser, en prendre soin, c’est maintenir un lien de vie, de sensations. Je trouve cela important. Au sein d’un couple, c’est aussi investir la sphère charnelle de l’intimité, dans la douceur et le bien-être, quand le désir de l’un et de l’autre sont mis à mal par la maladie. Il y a plein de pistes comme cela à explorer, à soutenir et à défendre.