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Le corps en philosophie

Longtemps mis de côté par les penseurs au profit de l’esprit souverain, le corps n’en demeure pas moins un riche sujet philosophique.

Le corps en philosophie

Longtemps mis de côté par les penseurs au profit de l’esprit souverain, le corps n’en demeure pas moins un riche sujet philosophique. Du latin corpus, dont la signification est elle-même liée à celle du mot grec sôma, le corps est étymologiquement ce qui s’oppose à l’esprit, à l’âme. On parle couramment du corps comme de l’enveloppe d’un être animé (qui a une âme). Il suffit d’ailleurs d’employer seul le mot : « Nous avons trouvé un corps », pour comprendre qu’il s’agit d’un cadavre. Pris dans son sens propre, le corps est donc synonyme de chair.

Mais notre corps n’est-il qu’une enveloppe ? Qu’est-ce qu’un corps ? Petite initiation philosophique…

La philosophie du corps dans l’histoire

Le tombeau de Platon

Dans le Phédon, Platon raconte l’attente de la mort de son maître Socrate. Ce dernier, serein, dit à son élève qu’il ne craint pas la mort, bien au contraire. Pour lui, l’âme et le corps sont deux substances totalement opposées. L’une est immatérielle, l’autre matérielle. La mort n’est alors que la séparation de l’une et de l’autre.

Le corps est une prison, un tombeau pour l’âme immortelle qui l’anime. C’est lui qui nous détourne de ce qui compte : le raisonnement, la connaissance de l’essence des choses par l’intellect pur.

La mort est alors une libération pour l’âme, qui survit au corps et peut rejoindre ce que Platon appelle le « monde des idées », où elle connaîtra une sorte d’illumination en découvrant l’essence des choses. C’est pourquoi « philosopher, c’est apprendre à mourir » : apprendre à s’abstraire du matériel, du corps, pour se consacrer à l’immatériel, l’esprit.

Le corps du Christ

« Le Christ est ressuscité. » C’est ce qu’affirme saint Paul devant une assemblée de Grecs ébahis. En effet, pour eux, nous l’avons vu, l’idée d’une résurrection d’un corps est impossible, puisqu’à la mort, le corps, en tant que substance matérielle, se décompose, et que seule l’âme peut survivre. Le christianisme, lui, affirme que le corps peut ressusciter puisque c’est de lui que vient notre perte ou notre salut. Apparaît alors la notion de « chair », et avec elle, celle de « corps de péché ».

La machine de Descartes

Pour Descartes, philosophe et mathématicien, le corps est avant tout une machine, certes très sophistiquée, mais dont les phénomènes physiologiques s’expliquent par des relations mécaniques.

L’âme et le corps sont pour lui aussi deux substances diamétralement opposées : l’âme immatérielle, le corps matériel : c’est le dualisme cartésien. Pour Descartes, l’âme peut donc survivre au corps. Mais bien qu’elles soient totalement différentes, ces deux substances sont en étroite union, une union propre à l’homme, si étroite qu’elle forme en réalité une troisième substance unique : l’homme.

Aussi l’âme n’est-elle pas dans le corps, selon la célèbre formule de Descartes, « comme un pilote en son navire ». Le corps agit sur l’esprit et l’esprit agit sur le corps. Dans la philosophie de Descartes, l’âme a d’ailleurs son siège dans le corps, elle y est incarnée au niveau de la « glande pinéale » (l’épiphyse), dans le cerveau.

Le renversement de Nietzsche

« Cette petite raison que tu appelles ton esprit, ô mon frère, n’est qu’un instrument du corps », écrit Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra : il renverse le schéma traditionnel qui veut que l’esprit soit maître du corps. Pour lui, au contraire, c’est le corps qui dicte à l’esprit ses émotions, ses sentiments, et l’esprit n’est que le réceptacle de ce que vit le corps.

Le « véhicule » de Merleau-Ponty

Merleau-Ponty rejette le dualisme qui voudrait que le corps soit une simple enveloppe de l’esprit, et que nous puissions avoir une existence « désincarnée », c’est-à-dire sans chair, sans corps (après la mort, par exemple).

Pour lui, le corps est le « véhicule de l’être au monde » : sans corps, nous ne pourrions pas être au monde, nous ne pourrions ni percevoir (les choses, les autres) ni être perçus. Les interactions avec notre environnement ne seraient pas possibles. Notre corps n’est donc pas un objet, il est au contraire le « sujet de notre perception ».

Le produit de la société de consommation de Baudrillard

Pour Baudrillard, le corps est le produit phare de notre société de consommation. Modifié, habillé, maquillé, tatoué, opéré, il reflète la réussite et l’épanouissement personnel. Il est un capital à exploiter dont nous serions les managers, toujours plus avides de performance et de perfection, car nous sommes jugés à son apparence.

Mais que l’on ne s’y trompe pas : ces soins esthétiques que nous apportons à notre corps ne sont que le signe d’une aliénation à des canons de beauté, et non celui d’une émancipation. En vouant au corps un culte excessif, nous devenons de purs corps, des corps sans vie, nous nous désincarnons. Pour Baudrillard, il y a là quelque chose de mortifère.

La philosophie du corps contemporaine

Simple enveloppe, corps-esprit, corps- machine, corps tout puissant, corps- vitrine ? À la lumière des avancées médicales des temps modernes, comme la greffe d’un cœur artificiel, médecins, philosophes et comités d’éthiques ne cessent et ne cesseront jamais de s’interroger sur ce qu’est un corps, pour avancer… ou non.

Le Journal d’un corps de Daniel Pennac est l’un des grands succès littéraires français de ces dernières années. Dans ce roman, l’écrivain raconte sa vie uniquement par le prisme du corps, qui devient alors un sujet à part entière : un sujet qui a gagné le cœur de la philosophie contemporaine.

En effet ce corps autrefois mis de côté, négligé par les penseurs, rarement considéré, a changé de nature à nos yeux. Il est devenu l’objet de plus en plus de soins ; la vision holistique de l’être humain, selon laquelle ce dernier doit être pris en compte dans sa globalité (le corps et l’esprit), est en plein essor. C’est alors que se développent des disciplines telles que le yoga, la méditation, le qi gong, le massage bien-être, etc.

Mais parallèlement à cet intérêt pour le bien-être corporel et paradoxalement, nous voyons de moins en moins de corps au naturel : piercings, tatouages, chirurgie esthétique, corps sculptés par le sport, nous modifions de plus en plus nos corps. Poussées à l’extrême, ces modifications donnent même naissance à un « corps hybride », un corps mi- humain, mi-machine, voire un « corps œuvre d’art » pour l’artiste Stelarc.

Avec l’avancée médicale et scientifique, avec les débats contemporains sur des sujets de société concernant l’humain et, avec lui, le corps (fin de vie, clonage, greffes, organes artificiels, etc.), une branche de la philosophie du corps prend de plus en plus d’ampleur : il s’agit de l’éthique.

Que disent ces pratiques de bien-être sur notre vision contemporaine du corps ?

Le bien-être corporel

« Être mal dans sa peau », « en avoir plein le dos », « avoir la tête comme une pastèque »… Autant d’expressions qui traduisent que notre corps a quelque chose à nous dire et que nous devons l’écouter. Le corps est aujourd’hui au cœur de nos préoccupations et nous consultons de plus en plus de professionnels du bien-être.

Le succès de la presse consacrée au bien-être et des émissions de télévision sur la santé montre à quel point nous nous intéressons à notre corps et à quel point, sans doute, nous avons peur qu’il nous échappe. Nous souhaitons être les acteurs de nos corps, de notre santé, de notre bien-être. « Prends soin de ton corps, pour que ton âme ait envie d’y rester », dit un proverbe indien. Notre corps, c’est nous. Prendre soin de son corps, c’est se respecter en tant qu’individu et en tant que sujet. C’est aussi un moyen de mieux se connaître et d’être mieux dans sa relation aux autres.

Dans cette recherche du mieux-être, le toucher et, avec lui, le massage-bien-être, occupent une bonne place.

Qu’est-ce qu’être touché ? C’est d’abord, au sens propre, être touché dans son corps par autrui. Mais cela peut aussi signifier être touché dans son âme émotionnellement : telle lecture, tel film, telle histoire, telle personne m’a touché. Le toucher a bien ces deux dimensions : corporelle et émotionnelle. Nous en revenons à l’approche holistique contemporaine : nous ne pouvons parler de philosophie du corps sans parler de toucher. L’art de ce toucher, le massage- bien-être peut nous aider à prendre conscience de nos contours, à prendre conscience que nous sommes « quelque chose », et donc que nous sommes au monde. Les nouveaux-nés ont ainsi besoin de ce contact pour prendre conscience qu’ils ont un corps distinct de celui de leur mère. En sophrologie, la notion de schéma corporel est essentielle. Cette technique de relaxation permet la représentation mentale du corps, son « dessin », ses sensations. Bref, elle permet la conscience de soi.

Avoir un corps, au sens psychologique et philosophique du terme, n’est pas inné. La recherche perpétuelle de bien-être va bien plus loin qu’un simple mieux-être : c’est elle qui nous permet de créer notre propre corps, d’en prendre conscience, de l’accepter pour bien l’habiter.

Les modifications corporelles

Certaines modifications du corps sont naturelles, comme la croissance, la vieillesse ou la grossesse. Celles dont nous voulons parler ici sont volontaires et contrôlées. Certaines sont éphémères, comme la coiffure ou le bronzage. D’autres sont permanentes comme le tatouage, le piercing, le culturisme, la chirurgie esthétique, la circoncision ou le transsexualisme.

Selon les cultures et à travers l’histoire, de telles modifications ont toujours existé, pour des raisons sociales, religieuses ou esthétiques. Au néolithique, les hommes se tatouaient déjà ; les peuples africains sont souvent percés ; nous avons tous en tête qu’en Chine, il était d’usage de bander les pieds des petites filles pour qu’ils ne grandissent pas et ressemblent à des fleurs de lotus, symbole érotique, ou que les femmes girafes africaines se parent de nombreux colliers pour allonger leur cou, par souci esthétique.

Si le bien-être nous permet de prendre conscience de notre corps pour mieux l’habiter, il semblerait que ces modifications nous permettent de nous affirmer en tant que personne, et de nous approprier notre propre corps. Les adolescents ressentent souvent le besoin de modifier leur corps, à une période où justement il se modifie naturellement pour devenir un corps mature d’adulte.

Mais comme nous l’avons vu chez Baudrillard, ce phénomène reflète aussi et surtout une société qui met le corps sur un piédestal et lui voue un culte. L’esthétisme est au centre la société de consommation et nous sommes jugés à son apparence : dis-moi comment tu modifies ton corps, je te dirai qui tu es…

Le corps hybride

En génétique, un hybride est un être issu de deux individus d’espèces différentes. Ici, nous parlerons de corps hybride lorsqu’il est à la fois humain et machine, ou quand il est « ultra-modifié ». Avec ses deux prothèses en carbone à restitution d’énergie, le corps d’Oscar Pistorius est par exemple un corps hybride, qui lui permet d’ailleurs de courir plus vite que des personnes valides. La récente greffe d’un cœur artificiel à un patient malade ou encore les nanotechnologies sont des étapes de notre cheminement vers un corps hybride. Les nouvelles technologies sont amenées à suppléer aux défauts de nos corps et à les guérir, jusqu’à en faire, peut-être, des corps-machines.

Mais un corps hybride peut aussi être une œuvre d’art. C’est le cas de celui de l’artiste contemporain australien Stelarc, connu pour ses performances d’art corporel où il mêle le corps biologique à des composants électroniques ou robotiques, suivant le principe selon lequel le corps est obsolète. Il performe ainsi avec un troisième bras, un exosquelette ou encore un bras virtuel. Il s’est même fait greffer une oreille sur le bras et y a introduit un micro connecté à Internet pour que d’autres personnes puissent entendre les sons que l’oreille perçoit.

L’éthique

Au vu de ces récentes évolutions et avancées, l’éthique (du grec ethos, les mœurs) occupe et doit occuper une grande place dans notre société. Elle se donne pour but d’indiquer comment les êtres humains doivent se comporter, agir et être, entre eux et envers ceux qui les entourent, avec, en amont, et dans le cadre de la bioéthique, la question : Qu’est-ce qu’un corps ?

Source

Par  Claire TEDESCHI/ paru dans La Massagère / Numéro 16 / 2014.

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