Une marche solidaire

Lorsqu’on fait cette balade, les éléments se déchaînent le temps de la marche.

Une marche solidaire

À Saint-Jacut-de-la-Mer, petit village de Bretagne situé sur un bras (une presqu’île, dans le temps) avançant dans l’océan et rythmé par les marées, il y a à marée basse une île accessible à pied, l’Isle des Ébihens, tout au bout, à la pointe. Cette île appartient à une poignée de propriétaires qui entendent préserver le lieu à tout prix. Elle est belle et l’on peut cheminer le long d’un sentier, entre les rochers et la végétation impressionnante, faite de fougères, de bruyères en fleurs. On arrive alors sur une petite plage de sable blanc, totalement préservée ; l’eau y est de la couleur du ciel. Lorsqu’on fait cette balade, les éléments se déchaînent le temps de la marche. Ainsi, le soleil peut vous chauffer, la pluie et le vent se lever en une minute, on peut sentir une petite pluie fine vous traverser la peau, ou faire face à un déluge aussi violent que bref.

Il faut environ quarante-cinq minutes pour la traverser et autant pour faire le chemin du retour avant que l’eau n’ait repris possession de la bande de sable et de coquillages amassés que l’on traverse. Elle reste accessible à tous, mais à condition de respecter l’endroit. Quelques maisons y sont implantées et l’on peut imaginer que leurs occupants sont soumis eux aussi aux rythmes des marées et des intempéries propres à la Bretagne.

Une marche communautaire jusqu’à l’île est organisée une soirée d’été. D’un banc situé à la pointe de Saint-Jacut, nous les avons vus partir ensemble, ils étaient environ une centaine, il faisait encore jour. S’agissait-il d’habitants permanents, de touristes en mal d’émotions, de résidents estivaux mais habitués de cette tradition ? Sans doute un peu de tout cela ! La procession s’est mise à avancer lentement, comme une longue chenille se mouvant doucement, mais certaine d’atteindre son but. Au fur et à mesure de son avancée, la nuit commençait à tomber, des lampes torches s’allumaient pour guider les premiers et ne pas perdre les derniers ; avec la distance, on avait l’impression d’une fourmilière en mouvement, d’une cohésion nécessaire.

Quelle émotion de voir avancer cette étrange procession… Elle donnait une impression de solidarité devenue rare, un esprit de communauté sans aucune connotation négative comme on l’entend trop souvent aujourd’hui, juste des personnes qui souhaitent se retrouver ensemble pour accomplir un rituel, quelque chose de beau et puissant, dans un endroit un peu reculé du monde et différent de tout ce qu’on connaît aujourd’hui.

Cela faisait penser aux fêtes de village de nos enfances, lorsque pour une journée, tous se retrouvaient pour partager un repas. Chacun participait à sa mesure, l’esprit était joyeux et festif.

Il n’y avait pas d’objectifs, dans cette randonnée nocturne, pas de performance souhaitée, pas de visée commerciale, aucune revendication particulière attachée à telle ou telle communauté, juste la joie d’être ensemble, de faire cette marche ensemble, ouverte à tous.

Ce n’est pas avec un esprit nostalgique qu’il faut vivre l’observation de cette marche, mais peut-être, simplement, en comprendre l’émotion et s’en inspirer. Comme un espoir pour la suite…

Source

Par  Anne-Sophie STROHL / paru dans La Massagère / Numéro 14 / 2013.

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