Une approche occidentale du toucher
Le toucher, parmi nos cinq sens, est sans doute le plus remarquable. Il n’appartient pas à une seule partie du corps, comme les autres sens, mais couvre l’ensemble de la surface de notre peau.
Le toucher, parmi nos cinq sens, est sans doute le plus remarquable. Il n’appartient pas à une seule partie du corps, comme les autres sens, mais couvre l’ensemble de la surface de notre peau. La peau est l’organe le plus étendu : 2 m2 de surface, soit 18 % du volume de notre corps en moyenne; et le plus lourd : 4 kg, et son épaisseur est de 2 mm en moyenne. Mais la peau n’est pas la même partout : ses différentes épaisseurs et les répartitions différentes de ses constituants induisent des touchers différents. La peau a de multiples fonctions pour l’être humain : elle protège, isole, défend, imperméabilise.
C’est une barrière contre les agressions extérieures, mais elle est aussi la porte d’entrée à de nombreuses expériences sensorielles positives.
Selon Aristote, qui le premier a classé nos cinq sens, il est aussi le plus performant d’entre eux. En effet, quant aux autres sens, l’homme est inférieur à beaucoup d’animaux, mais pour le toucher, il les surpasse tous de loin en acuité…
C’est l’apparition de l’onction et du « toucher des écrouelles ». Le toucher est alors relié à la sacralité : on veut toucher les reliques. À la Renaissance, le rôle du toucher est atténué alors que le xviiie s. voit un retour de ce dernier à travers, notamment, la figure de l’aveugle compensant son handicap. Dans la première moitié du xixe s., le toucher régresse au profit de la vue. Celle-ci est perçue désormais comme un outil beaucoup plus performant pour l’intelligence et permettant d’un seul regard de capter de nombreuses d’informations.
Ce n’est que dans la deuxième moitié du xixe s. que le toucher est reconsidéré, notamment par les résultats de la médecine expérimentale de Claude Bernard. Il prône l’action sur l’objet observé. Alain Corbin termine son tour d’horizon par le xxe s. où le toucher est vécu comme une expérience issue de la synthèse des différents récepteurs qui le forment. Ainsi, l’histoire du toucher est essentiellement distincte de celle, par exemple, de l’odorat, qui ne dépend que d’un seul organe sensoriel. On peut aussi évoquer différentes images que nous avons du toucher : seul ce sens particulier peut induire ces représentations !
Ainsi, à une certaine époque, chaque catégorie sociale est-elle attachée à une forme de toucher. Le toucher rude est associé au peuple, c’est la rudesse de la main calleuse du travailleur : on imagine alors qu’il ressent mal les sensations. Pour les catégories sociales plus élevées, on parle plus de séduction à distance, impliquant l’olfaction, l’échange de regards, qui sont alors très importants. Le toucher est notre sens le plus social. Contrairement à la vue, à l’ouïe, à l’odorat et au goût, qui peuvent s’exercer quand on est seul, le toucher implique une interaction avec quelqu’un d’autre ou avec un objet.
De plus, il a ceci de particulier qu’il est un peu énigmatique. Il évoque la caresse et elle concerne la relation avec l’autre et la fusion. Elle existe pour celui qui caresse et celui qui est caressé. Il y a là la recherche d’une harmonie. Dans nos sociétés occidentales, il est aussi lié aux nombreux interdits sociaux-éducatifs thérapeutiques qui pèsent sur lui.
Aujourd’hui, de nouvelles études et expérimentations tendent à attester, dans nos sociétés contemporaines, l’importance qui doit être accordée au toucher, notamment dans des approches thérapeutiques et/ou éducatives.
Des auteurs ont récemment montré la complexité du toucher. Chez le fœtus humain, c’est le premier des cinq sens à se développer, dès la sixième semaine, même s’il ne s’agit pas d’un sens indépendant des autres. L’expérience du foetus est en effet fortement tactile. Des expériences ont mis en évidence que les massages aident les prématurés à se développer. Certains services de néonatalogie ont expérimenté de nouveaux soins médicaux qui prennent en compte le ressenti sensoriel du nouveau-né..
Notamment, la thérapie par le massage : elle permet d’améliorer l’état de santé général du bébé et accélère son développement cérébral. Des pédiatres de plus en plus nombreux pensent que les anomalies auxquelles sont confrontés ces prématurés ne viennent pas uniquement d’infections ou d’un manque d’oxygène, mais aussi d’un environnement sensoriel défaillant et inapproprié (agressions nombreuses : bruit, lumière trop vive, stimulations tactiles répétitives et agressives…). À l’exemple de certaines mères indiennes, nigériennes ou vénézuéliennes massant leur bébé afin de les déstresser et de leur permettre un meilleur sommeil, des médecins ont mis en place des méthodes adaptées à ces bébés (université de Miami, équipe de Tiffany Field, années 1980). Il s’agit de séances de massages qui améliorent l’état de santé général du bébé (prise de poids plus importante, complications moindres, durée de séjour en néonatalogie réduite, etc.).
En France, certains psychomotriciens, kinésithérapeutes ou infirmières prodiguent de tels soins en néonatalogie, mais aucune statistique ne vient démontrer quoi que ce soit; le massage n’est pratiquement jamais l’objet d’une prescription médicale. Il s’agit plus d’une demande des parents ou des soignants.Le sens haptique permet notamment, chez l’homme, de mieux connecter la vision et l’audition, et peut même significativement faciliter l’apprentissage de la lecture chez l’adulte.
Malgré les interdits qui ont été et sont encore aujourd’hui liés au toucher, se toucher ou se faire toucher de façon positive est crucial pour la survie de l’homme. Toucher les objets et les autres êtres vivants favorise l’apprentissage chez l’enfant, jusqu’à faciliter l’apprentissage de la lecture chez l’enfant qui s’initie à la lecture, comme chez l’adulte apprenant une langue étrangère.
Enfin, il existe d’innombrables thérapies impliquant le sens du toucher, auprès des personnes âgées, de personnes fragilisées psychologiquement ou par la maladie.
Nous voyons aussi se développer en Occident toutes sortes de pratiques de massages bien- être mettant en avant les bienfaits du toucher.
Notre époque redécouvre l’importance du corps en renouant avec la pensée orientale. En Orient, la tradition accorde une importance considérable au corps, comme en témoigne le yoga, qui est la voie qui passe par la maîtrise du corps, et des techniques qui passent par la maîtrise de la respiration… Ou encore, le tai-chi, gymnastique totale chinoise… L’attention au corps, l’attention entièrement dirigée sur le corps dans son expression tactile, constitue même un des exercices sur la voie de la pleine conscience.
Le massage permet de libérer des hormones décontractantes, stimulantes ou euphorisantes, les endorphines. Elles peuvent provoquer une sensation de bonheur, accentuer l’envie d’agir, augmenter la joie de vivre et aviver la perception des sens. Le massage aide aussi à la récupération physique des sportifs.
Dans un article de Clés Magazine (août septembre 2012) intitulé « Retrouvons le plus doux des sens, le toucher », l’auteur nous parle du toucher comme d’un « véritable langage parallèle », de la peau comme « d’une fenêtre ouverte sur le Monde », mais aussi des règles et des interdits posés par notre culture occidentale : « Quand je masse un corps, je ressens ce qu’il ressent. Je sais s’il est détendu, heureux de ce que je lui fais, ou s’il lui reste des réticences, des douleurs, des pudeurs. Et je peux affirmer que, de son côté, le patient perçoit mon désir de le masser, ou ma lassitude parfois. » Tentons alors d’expérimenter ce sens au quotidien, et malgré les réticences attachées à notre culture, tentons de lui donner une place plus importante.
Bibliographie
• Histoire du toucher, extraits, Le Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, xviiie-xixe siècles, Alain Corbin, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1986 [1982].
• Shantala, Frédérick Leboyer, Seuil.
• La Peau et le Toucher, Seuil, Ashley Montagu, anthropologue et humaniste anglais.
• Toucher pour connaître et apprendre, UPMF Grenoble, Édouard Gentaz, directeur de recherche au CNRS et professeur de psychologie du développement à l’université de Genève.
• « Le toucher, sens interdit », A. COEMAN, psychomotricien, 2012.
• Le Bien-être à votre portée, Bertrand Poncet, praticien en massage-bien-être et enseignant, Évolution Pocket. • « Les massages aident les prématurés à se développer », Fleur Lejeune et Édouard Gentaz, La Recherche, juin 2011, n° 453.
• Les Bienfaits du toucher, Tiffany Field, Payot, 2003.
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