Il poursuit : « Le donateur se ment à lui-même en revendiquant son désintéressement, en niant qu’en donnant il se donne une rémunération narcissique. » Et d’ajouter : « Le don fait surgir la dette ! »
L’impérieux besoin de donner à l’autre doit faire l’objet d’une réelle recherche, d’une réelle compréhension de ce qui s’engage dans cet acte, au regard de son parcours de vie, de ses carences, de ses manques.
Tout professionnel de la relation, qu’elle soit d’aide, de conseil ou d’accompagnement, doit engager une réflexion à ce sujet, par sens des responsabilités et par sens éthique.
L’argent mis en jeu dans une rémunération juste pour les deux participants encourage le professionnel à se centrer sur la réalisation de sa mission telle qu’elle a été définie et, pour le client, à vivre et trouver dans la séance ce pourquoi il paie. Si l’argent ne fait pas tout, loin s’en faut, il participe à chasser une partie du flou, de l’incertain, de l’emprise sur l’autre. L’échange marchand tend à éviter toute dette. Chacun reçoit ce pourquoi il est là.
Donner, c’est réparer, ou du moins chercher à remédier, à racheter, à suppléer un manque ou une carence située bien souvent chez le professionnel. Donner « plus de temps » alors que l’horaire de la séance est bouclé, donner « plus d’empathie » alors que l’accompagnement nécessite, dans la bienveillance, une distance ajustée, donner « plus de soi » alors que l’autonomie et l’altérité supposent le respect d’un espace d’exploration et de liberté pour le client, c’est régler leur compte à ses propres insuffisances, méconnaissances et ignorances sur le dos du client…
Il y a question lorsque le thème de l’argent et de la gratuité est confus. Il y a question lorsqu’il y a difficulté à « faire payer un client », car celui-ci en paiera les conséquences au centuple. Il y a question lorsque la rétribution normale d’une prestation crée malaise et confusion chez le praticien.
N’oublions pas que tout professionnel en relation d’accompagnement accueille en premier lieu des clients. Ceux-ci désirent être accueillis en tant que tels et recevoir la prestation choisie, et seulement celle-ci.
N’oublions pas que certains clients peuvent être en situation de fragilité – le stress, le besoin de se retrouver, d’être seulement entendu et reconnu là où ils en sont – et que tout « plus » apporté à la prestation peut éveiller des interprétations, voire des suspicions de la part des clients sur ce que souhaite, pour lui, le praticien. Il ne faut pas prendre à la légère la violence de cette intrusion. Que veut le praticien ? Qu’essaie- t-il de faire qui ne rentre pas dans le cadre prévu de la prestation ?
N’oublions pas que tout don en position dominante réduit le client et l’asservit – et le professionnel peut facilement occuper cette place. Le client contracte une dette qu’il aura du mal à rembourser car elle se situe hors cadre, dans un méli-mélo d’affectif, de reconnaissance et de gratitude. L’échange est alors rompu. L’équité bascule… Le bénéficiaire de la prestation n’est plus considéré comme un sujet autonome, il est vidé de son identité et de sa liberté. Il est prisonnier et victime d’un acte qui le dépasse. Soit il s’extirpe de là par des remerciements appuyés, mais qui sonnent faux, soit il trouve la force de délier ce qui a été noué à son corps défendant par le professionnel.
L’histoire que nous entretenons avec cette énergie qu’est l’argent suppose un regard exigeant sur la qualité de notre relation avec la clientèle. Argent et relation d’accompagnement ont plus d’accointances qu’il n’y paraît à première vue…