Communication & Commercialisation Falling in box

Depuis quelques années, les centrales d’achat prospectent les praticiennes et praticiens en massages bien-être. Elles leur proposent d’insérer leurs prestations dans des coffrets cadeaux. Une lecture attentive des contrats invite à la prudence. Décryptons un «deal» avant de déposer ses prestations dans une «box». Avec une question en filigrane : un massage bien-être a-t-il sa place dans les linéaires d’un supermarché ?

 

Conçus au départ pour offrir un week-end de vacances clés en mains, les coffrets-cadeau élargissent aujourd’hui leur gamme au-delà du secteur touristique. Les centrales d’achat conçoivent des « cadeaux d’expérience » dont le contenu – une prestation de bien-être  épouse une tendance du marketing.

Dans ce contexte, les praticiennes et les praticiens en massages bien-être font l’objet de prospections téléphoniques. Depuis leur siège situé le plus souvent à Dublin (cf. les pratiques d’optimisation fiscale), les centrales d’achat proposent une formule a priori séduisante : promouvoir l’activité de la praticienne ou du praticien en échange d’une commission.

Le contrat envoyé au prestataire comporte une série de clauses, le plus souvent écrites en petits caractères. Munis d’une loupe, nous allons scruter les articles d’un contrat qui mérite analyse avant d’y apposer (ou non) notre signature sur la case prévue à cet effet.

Qu’est-ce qu’un cadeau d’expérience ?

Ce sont des coffrets (ou box) à offrir ou à s’offrir que l’on trouve sur les linéaires des grandes surfaces : escapades, week-ends gourmands, tables de chefs, spas et bien-être, massages... De plus en plus, le consommateur a recours aux e-coffrets qu’il télécharge sur un site Internet, après avoir effectué son règlement par carte bancaire : ici comme ailleurs, les objets se dématérialisent. D’où les efforts des centrales d’achat pour référencer leur site web sur les moteurs de recherche, notamment à la rubrique « massages bien- être ».

COMMENT FONCTIONNE LE PRINCIPE DE LA COMMISSION ?

Une ou deux fois par mois, la centrale d’achat envoie au prestataire une somme d’argent correspondant aux prestations réalisées, après avoir prélevé une commission qui varie entre 30 et 60 % selon les cas.

Deux points méritent d’être précisés :

  • La centrale d’achat ne procède au virement qu’une fois la prestation réalisée, et non pas au moment où le client effectue son achat. D’où un décalage dans le temps entre l’acte d’achat et le virement au prestataire. Si le client n’utilise pas son coffret (cela concerne environ 10 % des achats), l’intégralité de la somme reste sur le compte de la centrale d’achat ;
  • La praticienne ou le praticien ne maîtrise pas le montant final de la prestation vendue au public. Ainsi, une prestation d’une valeur de 65 € entraînera par exemple un virement de 43 € sur le compte du prestataire. Ce prix peut sembler raisonnable ; à ceci près que la centrale d’achat, libre de fixer ses tarifs, a le droit de vendre la séance à 95 € sur ses supports de communication au gré des tendances du marché.

Dès lors, le pourcentage réel de la commission par rapport au prix public n’est jamais connu à l’avance, d’autant que le régime de TVA se complexifie avec des transactions qui circulent entre l’Irlande et la France.

COMMENT S’ORGANISE LA PROMOTION DES « CADEAUX D’EXPÉ- RIENCE » VERS LES CLIENTS ?

Les centrales d’achat opèrent principalement par trois canaux : les coffrets vendus en grande surface ; les e-coffrets à télécharger sur leur site Internet ; et de plus en plus, des packs mis en ligne sur les sites marchands.

La vente en ligne étant de plus en plusprisée,la centrale d’achatmobilise toute son énergie pour référencer la prestation sur les moteurs de recherche. D’où l’importance du point suivant :

À QUI APPARTIENNENT MON NOM DE PRATICIENNE OU DE PRATICIEN, LE NOM DE MON ÉTABLISSEMENT, MON LOGO, MES TEXTES, MES PHOTOGRAPHIES ?

Dans le contrat, la centrale d’achat spécifie qu’elle détient un droit de propriété intellectuelle, certes non exclusif, sur l’ensemble des éléments qui forgent l’identité du prestataire : nom du prati- cien, textes, photos, logo… Elle peut les utiliser à sa guise pendant toute la durée du contrat.

Concrètement, cela signifie que la centrale d’achat peut faire référencer sur les moteurs de recherche tous les éléments de communication du prestataire, avec des moyens de référencement sans commune mesure avec l’établissement local.

Dès lors, la praticienne ou le praticien, même disposant d’un site web, perd la maîtrise de ses outils de communication. Il dépend des stratégies de référencement qu’adopte la centrale d’achat. Le nom de la praticienne ou du praticien devient un outil de référencement comme un autre.

Mieux : le contrat stipule que la centrale d’achat conserve la propriété intellectuelle de ces données jusqu’à deux années après l’expiration du contrat. Une telle contrainte lie définitivement le prestataire à la centrale d’achat.

QUELLE EST LA DURÉE DU CONTRAT ?

La durée minimale est de deux années avec renouvellement par tacite reconduction pour une durée d’un an. Le prestataire qui ne souhaite pas renouveler le contrat doit le signifier par écrit au plus tard quatre mois avant l’échéance du contrat.

En revanche, la centrale d’achat se réserve le droit de mettre fin au contrat à tout moment si le prestataire ne donne pas satisfaction.

En cas de cession de l’activité à un tiers, celui-ci est tenu de reprendre le contrat avec la centrale d’achat sans modification.

QUE SE PASSE-T-IL EN CAS DE LITIGE ?

Une clause du contrat stipule que le prestataire renonce par avance à toute action, judiciaire ou non, visant à contester le contenu du contrat. Il est indiqué́ que le prestataire devra dédommager la centrale d’achat des frais que celle-ci aurait à subir du fait d’un éventuel contentieux.

D’autre part, les forums d’associations de consommateurs tels que que Choisir et 60 millions de consommateurs fourmillent d’exemples de litiges entre centrale d’achat, prestataire et client. En cas de mécontentement du client, la centrale d’achat renvoie la balle vers le prestataire. Ce « jeu de ping-pong » à trois est tout, sauf confortable pour la praticienne ou le praticien.

COMMENT SONT TRAITÉS LES AVIS ET ÉVALUATIONS DES CLIENTS ?

Ce point ne figure pas dans le contrat. Dans les faits, les clients qui disposent d’un compte sur le site Internet de la centrale d’achat sont invités à rédiger une évaluation sur la prestation reçue. Les données restent la propriété de la centrale d’achat qui peut les partager ou non avec le prestataire, selon son gré.

Dans certains cas, les évaluations sont rendues publiques sur le site Internet de la centrale d’achat. Le prestataire n’a aucune maîtrise sur la diffusion de ces avis.

En résumé, la signature d’un contrat avec une centrale d’achat spécialisée dans les coffrets cadeau expose la praticienne ou le praticien à un risque : voir son nom, son enseigne, son activité, ses photographies, ses textes utilisés sans contrôle sur le web, avec toutes les conséquences que cela entraîne sur l’image et la notoriété du prestataire. En outre, le contrat engage le prestataire dans le temps ; il reste flou sur le calcul de la commission ; il expose le prestataire aux humeurs de clients souvent échaudés par des expériences antérieures dans l’utilisation d’un coffret.

Reste une question de fond : est-il pertinent de déposer ses prestations, son savoir-faire et son savoir-être, dans une box qui voyagera dans une jungle où hypermarchés et sites de vente en ligne dictent leur loi ? Autrement dit, les massages bien-être sont-ils solubles dans un capitalisme mondialisé ? L’entrepreneure ayant le goût de l’indépendance dispose de ressources sans doute plus pertinentes pour développer et maîtriser son activité.

En lieu et place des sites de vente en ligne, une réflexion pourrait s’engager sur l’appropriation des outils numériques par les praticiennes et praticiens en massages bien-être. Un tel sujet mériterait un article à part entière. Plus que jamais, il appartient à notre secteur d’activité de prendre son e-destin en mains.

Source

Par  Erik BRISSOT/ paru dans La Massagère / Numéro 21 / 2016.

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